Les textes de son livre « Le murmure » sont courts, sa pensée est hors du sensationnel, de la mièvrerie qui lui est parfois reprochée dans certains milieux littéraires.
Quand on l’écoute, sa parole se reconnait, est identifiable à ses écrits. Il peut être lyrique mais il est enraciné ; son village ordinaire du Creusot l’a inscrit dans la ruralité, l’envie d’y vivre, loin des cercles littéraires parisiens.
L’ouvrage de Christian Bobin à travers notre regard
Christian Bobin a écrit ce dernier livre peu avant sa mort, et en partie sur son lit d’hôpital.
Le livre ultime !
Dans cet ouvrage, s’entremêlent ses pensées, ses rêves, la musique, l’écriture, son enfance, la nature, les fleurs… et l’amour.
Les musiciens, Chopin et ses préludes, Schubert et ses sonates, Bach.
Camille Claudel, si folle, sa sculpture La petite châtelaine tellement admirée,
Les peintres Matisse, Soulages, Van Gogh.
Il s’y dévoile mais en même temps tout en pudeur, comme toujours chez lui, pas d’exposition, d’exploitation de sa douleur, de sa souffrance, de sa maladie, ses repas à l’hôpital prêtent à sourire. Il y parle de la grâce de cette vie dont le risque est toujours de la perdre, pas d’amertume.
Nous passons notre vie à attendre quelque chose de mieux que notre vie. (p.22)
Il convoque Sokolov, grand pianiste russe qui l’a accompagné tant d’années, il observe ses gestes, ses mains de pianiste avant de rejoindre le piano, le frôlement des touches. Ces mains qui heurtent, tapent, sautent, s’agitent, effleurent, caressent le clavier et ces notes qui s’envolent.
Sokolov, sa délicatesse, sa modestie. Un récital peut s’apparenter à une prière en public, Sokolov ne demande rien au public, mais s’offre entièrement dans son œuvre. Jouer du piano, c’est fondamentalement aimer et aimer ne saurait être un spectacle (p.39)
A l’hôpital, Ch. Bobin n’arrive plus à l’écouter, alors que sa musique n’est que consolation et même guérison, elle garde de la mort et peut délivrer une forte puissance de vie.
Les mères sont présentes, la mère, on pressent que la sienne a été étouffante. Les mères qui calment la douleur de la nuit par des berceuses, pour mieux abandonner l’enfant ensuite à ses terreurs. Le laisser à la porte des ténèbres, aux cauchemars, à l’abandon.
Serait-il possible que nous revivions cette peur de l’abandon toute notre vie aux portes de la nuit, la trahison de laisser les enfants seuls ?
Pourtant les berceuses chantées par les mères sont sincères, même si l’abîme n’est pas loin. Ne dit-il pas des mères qu’ « elles ont avec Dieu le privilège de gouverner par leur absence » (p.67). Et leur pouvoir infini, imparfait «Nous dormons adultes sur les genoux de nos mères mortes et enterrées. » (p.92)
Les mains ne mentent jamais dit-il , combien « d’archives de caresses » dans une main, de gestes d’adieu… les mains des pianistes ; la main qui pourrait être le lien avec le cœur.
Christian Bobin a eu une première amour, morte jeune, un amour qui semble avoir comblé la perte de sa mère, en incarnant un idéal maternel, son idéal.
Et sa seconde amour, poétesse et épousée, Lydie Dattas, liée à lui jusqu’à sa mort.
Ses amours inspirent son œuvre toujours avec beaucoup de délicatesse, une profonde admiration des femmes aimées, de la femme.
Cet amour si fort qui le lie à sa femme, le don qui les unit est écrit avec des mots si bouleversants, comme un renouveau de l’amour jamais dit, jamais lu de si belle façon « tu mènes les hommes à leur mieux » ( p.93) . La mort n’est pas crépuscule, mais abandon, lumière.
Il sait qu’il va mourir, il partage ses derniers moments de vie avec son amour, ils vivront dans le même village, lui sera au cimetière. Il écrit que la fontanelle des morts se rouvre pour que l’univers se réengouffre à l’intérieur.
Dans mon texte, j’ai repris quelques phrases de Ch. Bobin (en italique), sans les paraphraser… elles obligent à leur intégralité et ne sauraient souffrir d’une quelconque égratignure. Les mots d’amour écrits pour son amour sont à laisser dans l’écrin du livre et sont intouchables.
Sa pensée est poésie, amour, pardon, bonté débordante.
Je me suis demandée pourquoi je l’avais aimé et pourquoi sa mort m’a mis au bord des larmes. Je le trouvais infiniment touchant, l’homme profond tellement un avec l’écrivain, le poète, sans afféterie. Chaque livre lu m’a enchanté, et ce souhait de toujours les relire comme quelque chose de précieux, difficile à partager, simplement dire « lis ce livre de Christian Bobin ».
Yolande Meynet, mars 2025