Le rêvoir / Hélène Cixous

Qu’est-ce que le rêvoir ?
Ce qui fait le rêvoir, c’est s’enrichir de l’univers, de la création, de la nature, des chats, des oiseaux. C’est une rêverie, qu’est-ce qui est du rêve, de la narration, des souvenirs, du présent ?
Nous commençons le confinement en mars 2020, va s’ensuivre une rêverie poétique.
Si on ne peut plus parler dit-elle, pouvons-nous crier ? Le Covid nous a expulsé de nous-même, on est devenu comme tout le monde, plus de privilège.

Les humains ne sont plus des humains mais des mortels, mortels en devenir, c’est ce qu’elle pensait des humains pendant cette période, nous étions devenus des gens qui allaient peut-être succomber.

Le temps est le personnage principal de rêvoir, il s’alanguit, n’est plus le même, ou était passé le passé, où était le présent, et le futur ? On était en absence, en absence des possibles, du présent…

Le temps et ses strates se sont modifiés, elle parle de l’An du lent silence intérieur. Ce qui terrorise c’est l’invisible ; cet ennemi que l’on ne voit pas, mais qui suscite la poésie, le silence.

H. Cixous a des esprits qui l’accompagnent partout, sa mère, les gens aimés, Freud, Derrida. Leurs fantômes sont là, les morts vraiment morts également ; elle entend des cris poussés en pleine nuit, comme des menaces de mort.

Dans ses rêveries, l’autrice a des discussions avec son amour mort ; le bien-aimé. On n’en saura pas plus sur le bien-aimé, si joliment nommé, sinon qu’il est mort, mais qu’elle lui parle, qu’il est là encore.

Elle parle de la vieillesse avec son bien-aimé en termes poétiques  « ce double menton qui me trahit », le futur d’une splendide impossibilité. « M’aimeras-tu encore quand j’aurai le visage labouré par le futur-pas-si-lointain » ? Et Hélène Cixous sublime son grand amour, le bien-aimé. Là aussi je ressens un manque, mais ce n’est pas son envie à elle, on prend ses écrits, on ne demande pas.

Elle revisite la vie de sa mère Eve sage-femme, son emprisonnement en Algérie avec ses sœurs recluses, la prise de conscience des inégalités, l’antisémitisme. J’aurais aimé connaître davantage cette mère, mais on ne peut que l’imaginer.

De son Algérie de l’enfance, s’y mêlent, les vivants, les morts; le fils, la fille, la mère, la grand-mère sont nommés, convoqués, mais dans un monde dont je n’ai pas les clefs.

Et puis dans cette famille tous ces départs, pour fuir le nazisme, l’Algérie; sur un bateau, dans une neuve vieille R5, où vont ‘ils ? que ou qui fuient-ils ? on comprend que ce grand-père est mort d’être juif.

Partir, prendre les confitures, mais ne pas oublier les carnets de rêves, cahier des grandes et petites terreurs.

Ce qui fait le charme de l’amour c’est le désir comme condamné à l’échec, la promesse de la perte au cœur même de la possession, le refus logé dans le refuge.

Faute de miroir, on n’avait ni futur, ni figure. C’est alors que s’est composé le Rêvoir. Ce qu’on ne voyait pas à la lumière, on le voyait autrement. C’est à la fin de son livre qu’elle en a reçu le titre. Tout d’un coup, il était déjà là, « déjàlà ».

S’ensuit cette page 174 magnifique qu’il faut lire sans un moindre mot.

Comment font les gens qui ne disposent pas d’un Rêvoir de rêves, les malheureux, je n’arrive pas à imaginer une existence maintenue sous la coupe implacable du Cauchemar. J’ai connu un temps la liberté. Quand une liberté est pure et libre on ne s’en aperçoit même pas. On va, on vient, se couche, se lève, immortellement pendant des années, on ne les compte pas, on n’est ni savant, ni ignorant, on est distrait, on respire, on entre dans des magasins, puis dans d’autres, il y a des calendriers pour tout un chacun. Je fais appel à toutes mes forces mentales, je gonfle les muscles de l’imagination, pour deviner l’état du cerveau de ceux qui n’ont jamais connu, jamais aspiré l’air de la liberté, un air légèrement sucré, légèrement salé, discret, agréable, eux qui à peine nés ont été déposés dans une cage, voués du premier au dernier souffle au cachot de l’esclavage, toutes ces créatures qui n’ont connu de la liberté que le regret greffé dans tout le corps par le mystère de l’héritage.

On est dans une narration libre, poétique dans laquelle on peut rentrer si on ne cherche pas le rationnel, l’histoire, la chronologie, accepter de se laisser porter par les mots, ses rêves ou rêveries. Il m’a été difficile de percevoir dans ce texte la femme de lettres féministe mais ce n’était pas dans ce livre poétique, libre..

Sa culture est immense, son talent certain ; cependant il faut rentrer dans un imaginaire armé de références implicites. Aurai-je été mieux préparée en lisant des ouvrages précédents ?

Ses mots qui se suivent, s’enroulent les uns aux autres, en découlent, se suivent sans se ressembler, dans des métaphores, des phrases incongrues, des phrases dont je perçois les silences, les mots qui hantent, les morts toujours vivants ou morts vraiment ; on ne peut être seul(e) quand on lit ces mystérieuses phrases qui attirent notre imaginaire.

Yolande Meynet, février 2024

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